Jour d'Ouverture des Jeux Olympiques de Pékin, la 8ème ronde du Grand Prix FIDE de Sochi fut une ronde particulièrement combattive, beaucoup plus plaisante que la précédente. Ivanchuk gagna rapidement contre Svidler, Kamsky marqua un point contre Al-Modiahki dans une finale de Tours et Wang Yue put célébrer avec ses compatriotes en battant Gelfand.
Dans cette ronde, Ivanchuk répondit de la meilleure manière possible à notre remarque de la veille sur son manque d'inspiration puisque ce fut une victoire rapide contre Svidler. Ce fut un soudain raz-de-marée et personne n'aurait imaginé pouvoir battre Peter Svidler avec les Noirs si facilement.
Dans une Variante Berlinoise de la Ruy Lopez, Peter évita les lignes principales avec 4.d3, et choisit un coup rare et plutôt provocateur 6.Bg5 (en principe les Blancs préfèrent garder le Fou en c1 pendant un moment). La ligne fut régulièrement adoptée par Adolf Anderssen (!) mais est également connue de Anand-Topalov, San Luis 2005. Heureusement Vassily accepta le challenge. Avec 8...g5! et 9...Nh5 il gagna de l'espace et créa des conditions pour une attaque anticipée. La situation commença à paraître dangereuse pour les Blancs ...
Svidler avait visiblement préparé la nouvelle idée 10.Bxc6 et 11.d4 et ouvrit le jeu dans le centre. Le coup-clé de son opération - 15.Qf3 - s'avéra être douteux. Le simple 15.Qh5, avec l'idée de roquer, semblait préférable.
La réponse d'Ivanchuk 16...Kg7! fut une désagréable surprise. Il s'avéra qu'après 17.Nxc6 f5! Les Noirs saisirent une forte initiative. Ivanchuk fut surpris de la facilité avec laquelle il put atteindre une très bonne position : « J'ai soudainement réalisé que j'avais déjà presque gagné ».
A ce moment les Blancs auraient dû évacuer leur Roi. Après 17. 0-0-0 f5 18.Rde1!? fxe4 19.Rxe4 Rf6 il aurait pu créer quelques contre-jeux avec 20.Re7+ Kg6 21.f4! gxf4 22.Rg1!. Cela aurait probablement été sa dernière chance de résister.
Et après 17...d5! les Blancs étaient en mauvaise posture. Bien sûr, au lieu de 19.gxf5 il aurait pu jouer de manière plus tenace 19.exf5, mais cela aurait juste été un moindre mal. Ivanchuk montra la ligne 21.Ke2 dxe4 22.Nxe4 Rd5 23.f6+ Kg6 24.Rh2 g4 qui est aussi très bonne pour les Noirs. A la fin, plus têtu, mais aussi très difficile pour les Blancs, il y a 23.f6+ Kg6 24.Ke2 Rd6 25.f3 Rxf6. Réalisant que résister plus était sans espoir, Svidler abandonna au 26ème coup. Une dure défaite.
Radjabov-Grischuk fut une nulle intéressante dans la Sicilienne Najdorf, dans laquelle 9.f5 est un coup rare. « Après 11.Bc4 je pense que je suis obligé de jouer 11...Nxd4 mais ce n'est pas un problème parce que les Blancs ne peuvent jamais vraiment prendre en f6 », expliqua Grischuk plus tard. La nouveauté de Radjabov 13.0-0-0 mena à une situation stratégique dangereuse pour les Noirs. Grischuk essaya de compenser la faiblesse du Pion e6 avec une belle manœuvre de la Tour 16...Rg5!.
Le Grand-Maître Russe indiqua « Après 17.Rd3 j'avais un grand choix à faire; l'alternative était 17...b5 (17..Kb8 18.Rc3 Qa5 19.Nb6 Re5 20.Rd1 est meilleur pour les Blancs) qui devrait être le meilleur coup; 18.Nb6+ (18.Rc3 Rc5! 19.Nxc5 dxc5) 18...Kb7. »
La position des Noirs était exceptionnellement riche en ressources défensives. Après 19.Qa7! et 20.Bd5 son Roi paraissait en grand danger, mais l'analyse révéla des possibilités étonnantes !
On peut trouver 22...Bf8! 23.dxc6 (23.b3 Qe7 24.dxc6 Re1+ 25.Kb2 Bh6!) 23...Bh6+ 24.Kb1 Bd2!, peut s'attendre à une promotion rapide. Etonnement, c'est aux Blancs de trouver une solution pour s'en sortir dans ce cas.
Dans le jeu suivant Radjabov manqua plusieurs opportunités d'augmenter la pression. Grischuk: « 25.Qf2 conduit juste à une nulle; très intéressant fut 25.Re3!? e.g. 25...Kf7 26.Qd4 Rd7 27.Qh4 h5 - ceci devrait être contrôlé avec l'ordinateur ». Plus tard il y eut un autre moment où les Blancs auraient pu continuer le jeu avec 30.Qf3 - Grischuk avait prévu 30...Qe1+ 31.Kd3 Qe5 et n'était pas sûr comment évaluer sa position.
Puis les joueurs passèrent à une finale de Dames égale, qui aboutit sur une perpétuelle.
Jakovenko-Karjakin fut « une partie difficile » selon l'Ukrainien, mais une partie remarquable; une grande opportunité pour les théoriciens en ouvertures et experts en finales de déployer leurs compétences.
Dmitry joua une raisonnable nouveauté 11.Be3!, et se transposa en une finale prometteuse avec 14.Qb5. Karjakin: « Après 11.Be3 il était difficile de décider quoi jouer et quand nous commencèrent la finale, j'ai pensé qu'il devait être légèrement mieux ave sa paire de Fous et Pion en c5. Mais je ne suis pas sûr de son sacrifice de Pion ».
Le jeu suivant peut être difficilement décrit en détail. Les joueurs firent preuve d'une excellente imagination et grande technique.
J'(Shipov) opterais pour les Blancs 18.Nd2 avec l'idée de 18...Bxg2 19.Rg1 Bd5 20.Bd4 Ne8 21.c7!. Il est possible que les Noirs puissent se défendre dans ce cas aussi mais ils doivent trouver plusieurs coups précis.
Karjakin neutralisa habilement la première vague d'attaque de son adversaire, gardant un Pion en plus et commença sa contre-attaque avec 26...f6!. La réponse de Jakovenko 27.Rc4 était probablement peu précise. Dmitry aurait dû jouer un coup utile tel que 27.h4, pour rejoindre la centralisation planifiée du Roi Noir 27...Kf7 avec une manœuvre acrobatique du Cavalier : 28.Nc5! e5 29.Nb7!. Dans ce cas, les Blancs ont une bonne compensation.
Pendant la partie, les Noirs saisirent l'initiative, mais manquèrent un nombre d'opportunités d'augmenter leur avantage. Par exemple, on peut suggérer le subtile 31...bxa3!? 32.Bxa5 Rdc8. Une autre opportunité intéressante est 34...Ne7 35.Rxb4 Rxa4! 36.bxa4 Nxc6 37.Nxe5+ Nxe5 38.Rb7 Rd7 39.Rc1 Rxd2 40.Rcxc7+ Kg6 41.Rxg7+ Kf5, et les Noirs vont vers le Pion f3 avec des chances de gain.
Le coup technique 34...Nc3 mena à une finale de Fous de couleur opposée, et même deux Pions de plus ne furent pas suffisants pour permettre aux Noirs de gagner. Le précis 43.f4! assura une nulle pour les Blancs. Les deux joueurs méritent des éloges pour cette partie.
Dans la Gashimov-Aronian, les Blancs continuent d'explorer une ligne rare de la Berlinoise - 10.Ne4 (au lieu de l'habituel 10...h3). Aronian avait préparé une nouveauté modeste mais empoisonnée 15...Be7 (les Noirs avaient auparavant essayés 15...c5, Gashimov-Alekseev, Dagomys 2008), invitant son adversaire à attaquer. Il abandonna complètement le centre, mais garda la potentielle puissante paire de Fous.
Le 19.Nf3 de Vugar était probablement une erreur qui permit à Levon de simplifier la position et créer de l'espace à son Roi avec 20...f6!. Puis les Noirs prirent l'initiative. Maintenant la tension sur l'aile-Roi, il avance méthodiquement sur l'aile Dame (31...b6, 34...c5, 36...a5).
Cependant, l'offensive d'Arionan ralentissa (il aurait peut-être dû considérer 37...a4 ou même 37...b5!?). Gashimov l'employa en sa faveur avec 38.Nf1!, et força bientôt les simplifications nécessaires. Le coup final 46.Ne5 complète la photo de la nulle.
Aronian à l'issue de la partie : « j'aurais dû jouer 38...f5 parce qu'après ça c'est la nulle. Il a tout le temps ce coup Ng5. Mais en fait je ne sais pas quoi faire là, peut-être quelque chose comme 38...Bf8, prendre en g3 et puis ...Ne7. Mais en fait, je ne sais pas vraiment ».
Kamsky-Al-Modiahki fut une Sicilienne Rossolimo dans laquelle le Grand-Maître Américain fit une grande innovation : 11.Qb1! (au lieu de 11.Qc1 et 11.Nc4). Al-Modiahki réagit trop doucement. Au lieu du doux 11...Qc7, les Noirs avaient l'intéressant 11...0-0 12.b3 f5!?. Après le coup théorique, les Blancs prennent l'initiative avec 12.b3!, et puis développent leur avantage avec 19.a5!. La structure des Noirs fut démolie.
Puis les Noirs essayèrent de cimenter leur position avec les pièces, et cela marcha presque. Kamsky: « je n'aurais pas dû permettre son 25...Nd4, après les Noirs sont proches de l'égalité. Mais 29...Rd8 est probablement une grande erreur. Je pense qu'il devrait attendre là, avec 29...Rb6, parce qui si je joue 30.Ke2 il a 30...Qh5+ et je dois jouer 31.Nf3 quand 31...Rb4 et 32...Bf8 est bon pour les Noirs ». Il pouvait forcer les simplifications avec le précis 31.Qxb5!, gagner un Pion, centraliser le Roi.
Les classiques ont raison sur les tendances de nulle des finales de Tours. Au lieu de 43...Kf5? les Noirs ont 43...b3!, compliquant la tâche des Blancs. Par exemple, 44.Kc3 Kf5 45.Rb2 (45.f4 Rg1 46.Re3 Rd1 47.Re5+ Kf6 48.d5 Rg1 49.Rg5 Rb1=) 45...Rxb2! 46.Kxb2 Ke4 47.Kxb3 Kxd4 48.Kc2 Ke4 49.Kd2 Kf3 50.Ke1 Kg2 51.Ke2 Kg1!, et les Blancs ne peuvent pas gagner la finale de Pions. Incroyable! Cependant, les Noirs perdirent un autre Pion dans la partie et durent vite se résigner. De manière générale, la victoire de Kamsky est juste et correcte.
Est-ce que le Grand-Maître Chinois fut inspiré par l'Ouverture des Jeux Olympiques de Pékin, ou fut-ce simplement le chiffre 8 qui lui porta bonheur ? Dans tous les cas, contre Gelfand, Wang Yue joua un puissant jeu et gagna dans une finale de Fous.
Cette fois, la défaite de Boris était une suite logique des événements survenus pendant la partie. Dans une ligne bien développée de la Slave, Gelfand employa un nouveau coup - 17.Nxe5 (au lieu des très testés 17.dxe5 et 17.d5), mais fit face à une réponse forte - 18...Bc5!. Il semblerait que le Grand-Maître Israélien n'ait pas senti le danger à temps. Au lieu de 23.Rd4 il dut jouer le simple 23.e5!, afin de placer son Cavalier en e4. Dans ce cas, la partie se serait probablement terminée en nulle.
Après le coup théorique, les simples manœuvres des Noirs 24...Nc5 et 28...Qc5 appelèrent à des simplifications favorables, et Wang Yue s'en sortit mieux à cause de la faiblesse du Pion a4.
Wang Yue joua de manière très énergique dans la finale. Notez son puissant 32...f6!, qui ouvre le chemin dans le camp Blanc pour sa Tour. Avec 43...a4! il défendit indirectement son Pion b7 - si le Roi Blanc l'avait pris, le c6 des Noirs serait vite arrivé à c3 créant de dangereuses menaces.
J' (Shipov) ai aussi été impressionné par le peu orthodoxe 45...h5!?, qui empêche les simplifications sur l'aile-Roi. Wang Yue: « Ce fut un grand coup. Il réfuta 44.h4, qui fut sa dernière erreur ». Menaçant d'amener le Roi en а5 (50...Kc7!), Wang Yue força son adversaire à abandonner sa stratégie en attente. A la fin le roi Noir passa soudainement sur l'aile-Roi.
Cheparinov et Navara jouèrent une ligne rare de l'Ouverture Anglaise qui mena à une variante ressemblant à l'Ouverture Catalane. Les Noirs furent laissés avec un Pion isolé en c6, après la partie, David indiqua qu'il aurait dû opter pour la ligne principale avec 6...cxd4 7.Nxd4 Ndb4.
Les joueurs ont étonnement vite échangé toutes les pièces, et la finale qui en découla aurait été un vrai plaisir pour Kramnik, mais visiblement ce ne fut pas le cas pour Cheparinov, qui n'est pas fan des positions qui exigent un jeu technique. Ou est-ce peut-être juste la fatigue après plusieurs batailles majeures ? Par exemple la variante 26.Bxd4! cxd4 27.Rc8 Rxc8 (27...Red5 28.Rxd8+ Rxd8 29.Rc7) 28.Rxc8+ Kf7 29.Rd8 ne paraît pas si difficile à trouver. Un coup plus tard 27.Bxd4 était aussi possible, comme l'a montré Navara: 27...Red5 28.e3 e5 29.Ra4 a6 30.Ra5.
Comme hier, Navara se défendit avec ténacité dans la finale de Tours et mérite cette nulle. A l'issue de la partie, il mentionna quelques lignes qu'il avait regardées pendant le jeu. L'une d'entre-elles était 36.Ree3! Rb4 37.Re5 Ra6 38.Rce3 Rb7 39.Rxc5 Rab6 40.Rcc3.