Quelques parties intéressantes, deux résultats décisifs et une partie très dramatique - voilà en bref la 4ème ronde du Grand Prix de Sochi. Radjabov a surpris Svidler en jouant la Dragon, mais sous pression au temps le Grand-Maître Azéri fit une erreur. Après un fort jeu d'ouverture, Navara avait atteint une position gagnante contre Al-Modiahki, mais le Tchèque finit par perdre suite à un jeu trop rapide. Cheparinov conserve son avance en gagnant un demi-point.
« Rien de spécial » fut le commentaire d'Ivanchuk pour sa nulle rapide contre son compatriote Karjakin, et cette remarque ne pourrait être plus proche de la vérité. Presque toutes les différentes lignes de la Défense Petrov sont immunisées contre la Règle de Sofia! (mais pas toutes, comme nous le verrons plus tard).
Une ancienne variation de la Défense de Pétrov (le premier enregistrement de 4.Nc3 s'était produit dans la partie d'Andersen-Loevental, Londres 1851!) est considérée aujourd'hui comme étant la théorie dominante et le derby Ukrainien n'a pas apporté de nouveauté au monde. Ivanchuk a opté pour le sûr 8...Be6, évitant toutes les lignes pointues. Karjakin essaya de créer de la pression positionnelle, mais sans succès - les Noirs se défendirent très précisément.
A mon avis (Shipov), en réponse à la nouveauté 12...Bf6, les Blancs auraient dû mettre le Cavalier en g5, essayant d'obtenir l'avantage des deux Cavaliers. Puis Ivanchuk joua le très précis (14...Bd5!, 17...Bh4!, 18...f6!) pour créer des circonstances idéales pour une nulle sans relief.
Malgré la Variante de Moscou de la Défense Slave, Kamsky et Aronian finirent dans la structure appelée Karlsbad. Le jeu s'est développé d'une manière classique. Les Blancs attaquèrent sur le flanc Dame, alors que les Noirs initièrent de l'activité sur le flanc Roi.
Kamsky: « Je me suis préparé pour cette ligne, mais je n'avais pas étudié profondément 13...a5. Après 14...Rxa5, les Noirs sont bons. Parce qu'il n'y avait pas de jeu sur le flanc Dame, j'ai dû opté pour e4 ». La nouveauté d'Aronian 15...Re8 (15...c5 avait été joué auparavant) devient le point de départ d'un intéressant regroupement des pièces Noires, visant le Roi Blanc. Kamsky répondit en déplaçant le Cavalier de f3 à b3, planifiant d'envahir en c5. Cependant, avant cette manœuvre, il affaiblit le Roi par h2-h3 et s'est sévèrement compliqué la tâche.
Je (Shipov) voudrais attirer votre attention sur l'excellente et peu orthodoxe manoeuvre du Grand-Maître Arménien. Le coup 19...Bf8!? et 20...Qd8! créa une situation d'impasse pour les Blancs, alors que les Noirs trouvèrent un plan prometteur pour créer une batterie sur la diagonale b8-h2. L'Américain aurait probablement dû maintenir la tension avec 21.Ra1, mais il décida d'être agressif avec 21.e4?!, et manqua la puissante réponse- 21...Nf4!. Les Noirs obtinrent soudainement un avantage significatif. Kamsky: « mon 20.a5 n'était pas bon; j'aurais dû jouer immédiatement 20.e4. Cependant, j'avais oublié le 21...Nf4, après lequel les Noirs sont mieux, mais les Blancs ont de raisonnables chances défensives ».
Dans le jeu suivant, la chance était clairement du côté de l'Américain. Après l'excellent 22.Re3! Levon fit une erreur claire, laissant son adversaire simplifier le jeu, alors qu'il aurait pu soit améliorer lentement sa position avec 22...Kg7 or 22...h5, ou commencer un jeu plus concret avec 22...dxe4!? 23.Bxe4 Bd6 24.Rbe1 Qg5 avec de la pression désagréable.
Donnons du crédit à Kamsky pour son excellente ressource 25. Rbe1!, qui permit aux Blancs de garder l'équilibre du matériel, provoquer des échanges massifs et une nulle. En somme, Gata fut chanceux de finir avec un demi-point!
Une autre nulle rapide pour Gashimov, cette fois-ci contre Grischuk. Le Russe expliqua dans la salle de conférence de presse à l'issue de la partie « J'ai vu une interview de Carlsen dans laquelle il indique qu'il aime vraiment beaucoup jouer aux échecs et j'ai réalisé que c'était la raison principale de son grand succès. Pour moi, c'est une autre histoire car je n'ai aucun plaisir à jouer aux échecs longtemps. Gagner est évidemment bon mais pas le processus. J'essaie donc d'avoir du plaisir à joueur aux échecs et c'est la raison pour laquelle j'ai commencé à jouer plus de différentes ouvertures ».
Une introduction surprenante à ce qui s'est passé dans la partie, après laquelle Grischuk continua : « Gashimov opta pour la variante g3, que j'ai moi-même joué dans ma jeunesse, mais je n'arrivais pas à m'en souvenir. J'ai joué cette ligne rare avec 9...Nd7 et je voulais jouer...Nc5, mais j'ai ensuite pensé que cela était dangereux sans développer mes pièces.
Alors, j'ai dû ensuite continuer avec c6 avec le Pion, qui s'avéra être bon. C'est une structure très normale mais pas pour moi, je n'ai jamais eu une telle structure, et pas avec les Blancs. Je n'étais donc pas sûr de ce qui était mieux et ce qui allait se passer.
La répétition de coups paraît peut-être un peu étrange mais est en fait plutôt logique. Mon plan est de prévenir ceci Nb8-c6 et 20.Qf2 à cause de 20...Nb8 21.e5! alors je devais avancer la Dame de f2 avec 20...Nf6 ».
Cette nulle, relativement courte et tranquille, nous a offert une danse unique du Cavalier Noir. La Sicilienne Paulsen mena à une position Scheveningen typique. Il eut ensuite un solo du Cavalier Noir. Avec 9... Nd7! ? Grischuk para la menace d'un coup central et créa une ligne défensive flexible. Gashimov n'a pas osé l'attaquer, probablement hypnotisé par la belle manoeuvre de l'adversaire.
Durant cette partie, le Cavalier Noir se rendit exactement quatre fois sur la case d7.
Cheparinov-Gelfand fut un duel théorique hautement intéressant. Les joueurs ont discuté d’une variation très pointue de la Petrov connue depuis Lasker-Pillsbury, St. Petersbourg 1895 – la partie avait été brillement gagnée par le génie Américain.
Gelfand employa une curieuse nouveauté 16...Rb8!?, déviant des sentiers battus de 20...Re8 (Anand-Kramnik, Wijk aan Zee 1999, Ponomariov-Pavasovic, Batumi 1999, etc.). La réaction de Cheparinov 17.c4 s’avéra sans succès – ce coup est clairement trop optimiste. Les Blancs ont trop de faiblesses, et les pièces Noires sont trop actives pour travailler un jeu si pointu. Le puissant 17...f4! força les Blancs à se défendre.
Puis, le Bulgare fut inquiet de la possible attaque de mat des Noirs avec les Fous de couleur opposée. « J’ai pensé à 18.Rxe4 mais après 18...dxe4 19.Qxe4 Qd7 les Noirs sont mieux. Et je n’ai pas aimé 19.Ne5 à cause de 19...Bxe5 20.dxe5 fxg3 21.hxg3 Bf3 ».
Et ainsi Ivan rendit un Pion et essaya de simplifier le jeu. Il est possible que Boris ait été un peu trop pressé de prendre un Pion. Au lieu du spectaculaire 23...Rxf2, il aurait pu essayer des coups patients tels que 23...Qd7!. Cheparinov donna une autre ligne : « sur 23...g5 s’ensuit 24.Qg4 Rxf2 25.Rxf2 Bxf2+ 26.Kxf2 Qd4+ 27.Kg2 Qxa1 28.Qxg5+ Qg7 29.Qd5+ et c’est la nulle ».
Plus tard dans la partie une situation paradoxale (en temps normal) survint, quand d’un côté on s'efforce d’échanger des pièces (30.Qf5!), alors que l’adversaire essaie de conserver les pièces sur l’échiquier (31...Qe7!). Gelfand : « j’aurais peut-être dû essayer d’échanger les Tours. Une autre option était 30...Qd6. ». Cheparinov: « Mais après je joue 31.Qf7+ Kh8 32.Re4 ».
Il s’avéra que la finale de Tours ne pu être gagnée - même avec un pion supplémentaire... Un malheureux coup manqué pour Gelfand! Il a montré au monde une nouveauté solide, a réalisé un grand avantage, mais a échoué à le convertir. Cheparinov mérite une nulle pour sa fantastique maîtrise de lui.
« Cela devrait être interdit par la loi de jouer la Dragon sans en avertir » indiqua Peter Svidler après avoir conclu sa première victoire du tournoi contre Radjabov. L'Azeri avait choisi l'ouverture qui semble être ces jours l'arme principale de Magnus Carlsen. Il montra une amélioration intéressante dans la position considérée comme difficile pour les Noirs après Xie Jun-Gufeld, Kuala Lumpur 1994. Le courageux sacrifice de Teimour 17...Rd4 (au lieu de 17...Bd5, 17...Bxc4 et 17...Rd5!?) mena à de sérieuses complications. Peter réagit de manière simple, acceptant tous les sacrifices et rendant le matériel au bon moment.
Svidler: " « Je me souvenais vaguement que 17...Rd5 était le coup théorique ». Après 19...d3, il dit que l'alternative 20.Qd6 était en quelque sorte pour la nulle parce que 20...Qb6 21.Bb3 Ne2+ 22.Kb1 Rd8 ou d'abord 22...dxc2+ 23.Kxc2 Nd4+ 24.Kb1 et puis 24...Rd8.
La position clé arriva au 23ème coup. 23.Qb3 paraissait tentant, avec une variante simple 23... Rxb3 24.Bxb3 dxc2+ 25.Bxc2 Nd4 26.Rd3, et les Blancs sont à cran. Cependant, le coup écrit amena aussi au Russe le résultat désiré. Il n'aima pas 24.Bb3 à cause de 24...dxc2+ 25.Kxc2 a5, mais là l'ordinateur trouve la ressource 26.Rhe1! qui est encore meilleure pour les Blancs.
Pour sa Dame blanche, il obtint deux Tours et quelques idées de mat. Peut-être que les Noirs auraient pu se défendre de manière inhumaine, mais laissons ceci aux machines. Je (Shipov) ne mentionnerai que la dernière erreur de Radjabov : il aurait dû jouer 36...Qf4! 37.Rd1 c5! avec une solide formation défensive, alors qu'après 36...a4? 37.Rdd7! les Blancs envahirent le territoire ennemi sans concession, et le dénouement de la partie devenait clair.
Svidler remporte une victoire très importante qui le remet en course.
Navara-Al-Modiahki fut une rencontre dramatique. Comme Kamsky hier, ce fut à Navara d'être chanceux aujourd'hui.
Les joueurs créèrent une hybride sauvage de la Défense Sicilienne et l'Ouverture Anglaise, et le Grand-Maître Tchèque surprit tout le monde avec une belle nouveauté au 6ème coup déjà ! Avant, les Noirs auraient joué 6...e5 et 6...Qb6, et il semble que le 6...Nf6 de Navara est une amélioration radicale ! Les Noirs ouvrèrent le centre avec l'énergique 7...d5! et créèrent une puissante pression. Le 10ème coup d'Al Modiakhi avait l'air douteux; 10.Nb3 était plus logique et solide.
Navara: « Mon adversaire aurait dû opter pour Qb3 au coup16 ou 17, et 20.f3 était aussi meilleur que ce qu'il a joué ». Au 19ème coup, la centralisation des Noirs avait atteint son maximum, et fut suivie par ce qui ressemble à une invasion décisive. Après 19...e3! il semblait que seul un miracle pouvait sauver les Blancs (sans mentionner la ressource inhumaine 22.Bh5! Nf2+ 23.Kg1!).
Et le miracle arriva ! Navara gagne une Dame pour une Tour et un Cavalier, mais commence à faire des erreurs dans l'étape de conversion, puis une gaffe s'ensuit : 33...Qb4??, manquant l'élémentaire 34.c7!. Après 33...Rxc1+ 34.Rxc1 Qc7 les Noirs auraient des chances de gain (les avances du Pion a). La gaffe donna aux Blancs une autre Tour et c'était assez pour gagner.
Navara: "J'ai gagné du matériel mais après j'ai fait l'erreur de jouer trop rapidement - je voulais exploiter la pression au temps de mon adversaire. Mon 26...Re7 était probablement mauvais, et certainement le 27...Qxb4 - J'ai manqué 28.Bd5. Plus tard, j'ai aussi manqué 33.Ra1 et 34.c7."
On ne peut qu'être désolé pour David à l'issue de cette partie...
Une Défense Slave fut jouée dans la Jakovenko-Wang Yue. Au 7...ligne Nb6, le Russe montra une nouveauté rusée (15.Na2!) qui l'aida à éviter des échanges de pièces et s'emparer du centre par 21.e4! et 22.f4!. Cependant, l'avantage significatif des Blancs était juste une illusion d'optique. Les Noirs n'avaient aucune faiblesse, et leurs pièces étaient bien préparées pour des affrontements futurs. Le 25.f5 des Blancs fut bien reçu par les Noirs, qui obtinrent un avantage structurel sur le flanc Dame (une forteresse sur 5 en plus de la faiblesse des Blancs en a4 et c4), cependant, Dmitry parvint à créer un raz-de-marée de pions sur le flanc Roi (29.g4, 32.h4!)
Les Noirs auraient pu jouer pour la victoire s'ils avaient laissé la case d3 pour leur Dame au 34ème coup avec ...Nb3!. Après, l'inexactitude de Wang Yue, Jakovenko saisit l'initiative (38.Ne2!, 44.c5!), mais son adversaire se défendit obstinément jusqu'au coup 55. Là, selon Jakovenko, 55...h5 était mauvais, et les Blancs auraient dû jouer 56. f6 Bh8 (56... Bh6+ 57. Kd3 +-) 57. f7 (57. Be7+ Ke8) 57... Bg7 58. Bb6 Bf6 59. Bc7 bien qu'après 60...Bxh4 Bxe5 Bg5+ ce n'est pas clair si les Blancs peuvent gagner. Dans le jeu, la tendance vers une nulle était trop forte.
Une lutte âprement menée qui demanda beaucoup d'efforts des deux côtés.