Ronde 10: Cinq Gains : Aronian, Gashimov, Radjabov & Wang Yue en tête
Monday, 11 August 2008
La 10ème ronde du Grand Prix de Sochi fut nettement la plus spectaculaire jusqu'ici. Relativement rapidement, trois parties se sont soudainement décidées, et aucune d'entre-elles ne présentait un résultat nul ! Aronian a battu Cheparinov avec les Noirs pour prendre la tête sur son adversaire direct; et se voit partager cette première place avec Gashimov, Wang Yue et Radjabov, qui se sont également hissé au haut du classement.
Mais avant de parler de cette superbe ronde, nous devons commenter cette photo décevante prise quatorze ( !) minutes après le début de la ronde. Les deux joueurs Kamsky et Jakovenko n'avaient toujours pas faire leur apparition devant leur échiquier...
La partie de Radjabov-Navara prouve une fois de plus que la plus petite des imprécisions dans l'ouverture peut mener à des conséquences sinistres, en particulier dans la Défense Sicilienne ! Il semblerait que David ait mélangé l'ordre des coups : au lieu de 11...exf4?!, les Noirs jouent normalement 11...0-0, pour continuer en f4 le coup d'après.
Teimour employa habilement l'imprécision de son adversaire. Il joua un coup très puissant 13.e5! (après 13.Qf3 la partie se serait transposée en Radjabov-Svidler, Fuegen 2006), et créa une très forte pression sur l'aile-Roi.
Au 15ème coup les Blancs paraissaient être dans une « position de rêve » comme le décrivit Radjabov. « Mais je ne suis pas sûr de 16.Qh5, probablement que 16.Qf3 était plus fort ». L'Azéri releva que 17...Qe8 était aussi mauvais (17...Ra7 était nécessaire). Bien que la position des Noirs semblait déjà sans espoir, 19...Qd7 fut probablement l'erreur fatidique. Radjabov joua très puissemment sur la fin. Ce fut une partie à sens unique.
Svidler-Karjakin commencèrent avec une ligne ultra-pointue et à la mode de la Défense Ouest-Indienne. Les Blancs sacrifièrent un Pion (15.Nxg6) et forcèrent l'adversaire à jouer avec le Roi dans le centre. Karjakin améliora le jeu des Noirs de la partie Radjabov-Leko, Morelia-Linares 2008 avec 19...Ne6! (l'ordinateur suggère ce coup immédiatement !) et convertit de manière confidente l'avantage matériel. Son analyse est bien meilleure.
« Je ne me souvenais pas ce que Leko avait joué, mais mon 19...Ne6 est meilleur » releva Karjakin.
Le créatif 20.b4 cxb4 21.Nd5 de Svidler ne porta pas ses fruits. Il est difficile de donner un avis dans une analyse expresse, mais j' (Shipov) aimerais attirer votre attention sur 20.Qf7!?. Il semblerait que l'initiative des Blancs devrait suffire pour l'égalité.
Karjakin lui-même suggéra 22.Qf5 comme amélioration possible. Un peu plus tard, il ne joua pas 24...Qc2 25.Rd2 Qg6 à cause de 26.Qxg6 Nxg6 27.d6, mais dans cette ligne 25...Qc3!? est intéressant.
Le reste de la partie est dépourvue d'intrigue : les Noirs finirent calmement leur développement avec 25...Qf5!, et puis passèrent à la finale (29...Qg6!), dans laquelle la pièce en plus des Noirs joua le rôle principal. 33...Rg7! fut une très belle finition. L'immédiat 33...Bc8 fut répondu par 34.Rc1 Bb7 35.Rc7, mais en mettant la Tour en g7 avec tempo, les Noirs ont Be7-f8! comme réponse adéquate au Rc1-c7 des Blancs.
Svidler continue de descendre. Il n'est clairement pas en forme. Nous lui souhaitons une bonne santé! Un autre gain relativement rapide fut ce lui de Gelfand, contre l'imprévisible Ivanchuk. Cette fois-ci l'Ukrainien nous a déçu. Nous nous attendions à ce qu'il montre quelque chose de nouveau et intéressant dans le Hedgehog Anglais, mais sous l'attaque standard des Blancs, il perdit malgré une résistance désespérée.
Quand les joueurs atteignirent la position critique de cette ligne très subtile et risquée, Vassily joua un coup standard 15...Nbd7?!. Mon analyse de la continuation correcte (et connue depuis de nombreuses années) 15...Qe7!, qui survint dans la Filippov-Shipov, Sochi 2004, sera publiée d'ci la fin de l'année dans le 1er volume de mon nouveau livre sur le Hedgehog.
Après l'évident 16.fxe6 fxe6 17.Bh3! la pression sur la case e6 devint trop forte. La manœuvre suivante sur la Dame Noire fut impressionnante, mais objectivement les Noirs ne pouvaient rien faire. Gelfand: « Avec 17...Qc5 il essaya de profiter du fait que Be3 était sous-protégé. Là j'aurais déjà pu gagner sa Dame avec 18.Qe2 Qe5 19.Bxe6+ Rxe6 20.Rf5 mais après 20...Qxe4 21.Nxe4 Rxe4 c'est plutôt le désordre, malgré le fait que les Noirs n'ont que deux pièces. »
Puis selon l'Israélien 19...Qxa2 fut clairement une erreur ; Ivanchuk aurait dû essayer 19...Bxd5 20.exd5 Qxd5 quand 21.Nxe6! (21.Bg2 Qxa2) 21...Qxa2 et puis 22.Rf2 ou 22.Rc2 sont toujours bons pour les Blancs.
Les deux joueurs ont alors fait des erreurs dans des complications (l'évaluation varie de += à +-), mais j'aimerais attirer votre attention sur 26.Bd4!, 28.Nxh6+! et 30.Qh5!.
La dernière gaffe 37...Kxf7? épargnèrent les Blancs de montrer leur technique. Plus tenace il y avait 37...Kf8! et 38.Qe6 Rd8 39.Qxb6 Ke7 40.Kf1! d4 41.Ke2 d3+ 42.Kd1 - le Pion b6 peut devenir très fort. Probablement que les Noirs sont toujours perdants. Gelfand revient dans la course!
La partie Grischuk-Wang Yue fut une partie importante, mais pas très intéressante. Les Blancs firent un nouveau coup dans la ligne pointue Caro-Kann (12.Re1) et obtinrent de la pression.
Le Grand-Maître Chinois se défendit très bien -15...Bb4!, 20...Rc4! 24...Nc4!. Après une série d'échange les Blancs avaient effectivement un pion de plus, mais ce fut inutile, comme les Noirs l'avaient bien bloqué. Comme les Dames étaient sur l'échiquier, les Blancs ne purent amener leur Roi.
Grischuk trouva le jeu de Wang Yue « très étrange », bien qu'il ajouta « mais peut-être pense-t-il que mon jeu est très étrange. » Il pense qu'il était bien mieux et s'attendait à 24...Qd5 25.Rxb5 Qc4 26.Rcb1. « Mais j'ai manqué quelque chose là, je pense que c'était 24...Nc4 25.Nxb5 R4a5 26.Qb3 Nd2. ». A la fin, le Chinois finit « brillement » la partie selon Grischuk: « Il a simplement appelé l'arbitre et a dit "nulle ! " et j'ai accepté. ».
Cheparinov s'est rapidement égaré aujourd'hui contre Aronian. Un excellent manuel de suicide: tuez vous rapidement et efficacement!
Dans la populaire ligne de la Défense Slave, Aronian changea radicalement son plan de la partie contre Ivanchuk (« Je voulais faire quelque chose de différent »). Au lieu des simplifications, il ajouta de la tension au centre avec 13...e5 et la maintint pendant un moment, gardant les Blancs derrière la chaîne de Pions. « Sa dame en c2 et Rae1 semblaient les deux un peu mal placés dans cette position. Après 16...Qd6 je pense être déjà légèrement mieux » indiqua Levon.
De subtiles manœuvres des deux côtés menèrent à une position critique, dans laquelle les Blancs firent une horrible gaffe positionnelle : 26.gxh4? (le non-pressé 26.Be2 est nettement mieux, alors qu'Aronian lui-même s'attendait à 26.Bg4 duquel il planifiait 26...Qf6) qui mena à l'évanouissement de la structure des Pions Blancs, et la contre-attaque contre le g6, commençant par 28.h5, s'avéra complètement sans rapport. Ayant manqué la chance tactique 30.b4 (au lieu de 30.Bxd4?!), Cheparinov abandonne complètement le centre. Après quoi le jeu d'Aronian fut impeccable : 33...f5!, 35...Kg7!, 40...b5!. Le Grand-Maître Arménien célébra une victoire convaincante.
Gashimov et Al-Modiahki discutèrent longtemps ensemble pendant le repas de midi, et puis s'assirent l'un à côté de l'autre - un bel exemple de l'atmosphère amicale qui règne ici à Sochi. Durant la partie Gashimov dut cacher son attitude amicale quand il vit 11...Ng4. « Ce n'est peut-être pas une erreur, mais certainement plus difficile pour les Noirs à jouer comparé au normal 11...b5. »
L'attaque Sozin dans la Sicilienne suggérait que l'un des Rois, roqué aux coins opposés de l'échiquier, tombe. Le Roi Noir obéit.
Le dénouement de la partie fut déterminé entre les 15 et 21ème coups. Etonnement, les Noirs permirent f5-f6! Coup après lequel il était condamné.
Bien sûr, on peut blâmer 15...b4 (15...Na5 paraissait intéressant), mais ce sont des subtilités. La réelle grande erreur était encore à venir. Je n'aime pas 18...Kh8. Sans le Fou en b3, cette prophylaxie n'a pas de sens et gâche juste un tempo, et l'importance du temps dans de telles parties telles que les Siciliennes est évident même pour des enfants. Il y a bien mieux 18...Bb7, par exemple, 19.Nb6 (19.Nh5 Rac8 20.Rd2 Qa5) 19...Rad8 20.Nh5 exf5 21.exf5 Rfe8!, et les Noirs sont presque à égalité. Jouer 20...f6 était mauvais à cause de 21.Nb6 Ra7 22.Nd5 Qc5 23.Qe4! Bd8 24.Nhf4! avec une totale domination des Cavaliers Blancs.
Et après que le Pion Blanc fut établi en f6, la victoire était à portée de Vugar. Il accepta calmement le sacrifice du Fou après 26...Qa5, survécu à des échecs et finit son attaque.
Contre Kamsky, Jakovenko joua sa dixième nulle en dix parties. Dans la variante profondément étudiée de la Ruy Lopez, Dmitry joua un nouveau coup 18...Bd8 (au lieu de 18...h6). Peut-être que l'idée était que les Noirs n'affaiblissent pas la case f5, qui est si attractive pour les Cavaliers Blancs, mais dans tous les cas, Jakovenko ne l'aima pas après la partie : « J'ai sous-estimé son Re1-e3. »
Après que les Cavaliers furent échangés, le Russe joua 24...h6, mais encore avec tout le respect, manqua totalement d'égaliser. Kamsky maintint l'initiative jusqu'à la fin de la partie, attaqua énergiquement (22.Nh5, 28.c4), mais les Noirs tinrent. Nous n'avons pas trouvé de manière évidente d'améliorer l'attaque des Blancs.
Jakovenko: « D'abord j'avais envisagé 24...Bf6 25.Qd2 Nb7 mais après j'ai trouvé 26.Ba3 ennuyeux. Mon adversaire suggéra 25.Qh5 mais je peux probablement simplement jouer 25...Re6."
L'Américain s'abstint de 28.Rxd6 à cause de 28...Rxd6 29.Qxd6 Qxc3 30.Ra2 Qe1+ 31.Kh2 Qxc1 32.Qxd7 Qf4+ 33.Kg1 Qc1+ 34.Bd1 Qb1.
« Après cela il gagna un Pion mais les Noirs avaient suffisamment de contre-jeux » dit Jakovenko. Une dernière ligne fascinante 34...Nxb3? 35.Qc8+ Kh7 36.Bf5+ g6 37.Rxd6 (37.Qd8 Qxb2 38.Qxf6 Qc1+ 39.Kh2 Qf4+) 37...Rxf5 (37...Rxd6 38.Bxe5 gxf5 39.Qxf5+ mat) 38.exf5 Qxb2 39.fxg6+ Kg7 40.gxf7 Qc1+ 41.Qxc1 Nxc1 42.Rf6! et les Blancs devraient gagner.